Depuis que la Grèce s'est retrouvée en première ligne de la dite crise de la dette de l'Union Européenne et que le gouvernement de Georges Papandreou a décidé de placer le pays sous tutelle internationale le transformant ainsi en un vaste chantier d'expérimentation pour d'enthousiastes apprentis sorciers néolibéraux, le peuple grec endure non seulement la misère absolue sous toutes ses formes (chômage, malnutrition, manque de médicaments et de soins de santé, système éducatif délabré, etc.) mais également l'humiliation des déclarations incessantes de responsables politiques européens truffées de stéréotypes racistes et de généralisations.
En voici deux:
"Les Grecs sont tombés du hamac où ils étaient allongés depuis si longtemps, il est grand temps qu'ils se remettent debout" Maria Feckter, ministre des finances autrichienne, le 23/10/2012.
"Les Grecs doivent s'aider eux-mêmes en payant leurs impôts", Christine Lagarde, directrice du FMI, le 25/05/2012.
Alors que le premier stéréotype, celui selon lequel les Grecs sont des fainéants a depuis longtemps été démenti par les statistiques d'Eurostat, on trouve rarement des arguments contre le second, selon lequel systématiquement les Grecs ne payent pas leurs impôts. Car les dirigeants européens sont convaincus que, si l'Etat grec, au moment même où il manque cruellement de liquidités, ne fait absolument rien pour lutter contre l'évasion fiscale, celle-ci constitue un phénomène endémique bien ancré dans la mentalité de tous les Grecs.
Mais voilà qu'une liste remise au gouvernement grec il y a deux ans des mains de la même Mme Lagarde est venue dévoiler au grand jour le degré de corruption des partis au pouvoir et leur connivence avec l'élite économique du pays pour démontrer une fois de plus ce que les dirigeants européens feignent d'oublier: l'inaction face à l'évasion fiscale s'explique par l'identité de ceux qui la pratiquent.
La reconstitution de l'histoire qui suit se base exclusivement sur les déclarations des différents protagonistes devant la commission parlementaire compétente du Parlement grec.
En octobre 2010, M. Lagarde, alors ministre des finances de France envoie aux autorités grecques une liste d'environ 2000 noms de clients grecs de la banque HSBC en Suisse, subtilisée par un employé de la banque, dans le but d'aider le gouvernement Papandréou à débusquer d'éventuels fraudeurs (des listes similaires avaient été envoyées aux autorités d'autres pays comme l'Italie et l'Espagne qui ont pu ainsi récupérer plusieurs milliards d'euros.)
Le ministre des Finances de l'époque M. Papakonstantinou affirme avoir bien reçu cette liste sur un support CD qu'il s'empresse de ranger dans un tiroir après l'avoir copié sur une clé USB.
Un mois plus tard, en novembre 2010, M. Papakonstantinou, selon ses dires, remet au directeur du département de lutte contre le crime économique (SDOE en grec) M. Kapéléris, non pas la liste mais uniquement une vingtaine de noms afin qu'il mène une enquête.
Cependant, M. Kapéléris dément en déclarant que le ministre lui a confié une liste de dix noms sans lui expliquer de quoi il s'agit et en lui demandant de faire du profilage.
Le 25 janvier 2011, lors d'une réunion de travail au bureau du ministre, M. Kapéléris est pour la première fois mis au fait de l'existence de la liste Lagarde. On décide de créer une commission spéciale à un moment ultérieur, commission qui ne verra jamais le jour, puisque M. Kapéléris ne recevra jamais l'ordre d'enquêter.
A la même époque, M. Papakonstantinou se rend à Davos, en Suisse, accompagnant le premier ministre Georges Papandréou et la presse internationale rapporte des rencontres du ministre des finances avec des cadres supérieurs des banques UBS et HSBC. Celles-ci sont confirmées par M. Papakonstantinou qui refuse cependant d'en dévoiler le contenu. Le ministre admet également que le premier ministre était au courant de la liste Lagarde et lui avait demandé de poursuivre l'enquête, chose qu'il ne fera pas.
Entretemps, le SDOE change de directeur. Le nouveau venu, M. Diotis n'est pas mis au courant de l'existence de la liste. Ce n'est que lorsque M. Papakonstantinou quitte le ministère, en juin 2011, qu'il lui remet la clé USB sans aucune instruction sur la suite à donner.
Lorsque M. Venizelos, chef du parti socialiste (PASOK) soutenant le gouvernement tripartite de M. Papadémos (ancien vice-président de la BCE), prend les commandes du ministère des finances, M. Diotis lui remet la clé USB pour ne plus jamais la revoir ou entendre parler d'elle.
Douze mois durant, M. Venizelos ne bouge pas un seul orteil sur le dossier en prétextant que ces données n'étaient pas "exploitables" vu qu'elles avaient été obtenues de manière frauduleuse (argument ridicule lorsque l'on constate que d'autres gouvernements ont su les exploiter). Par ailleurs, lorsque M. Venizelos abandonne son poste en vue des élections législatives, il juge bon d'emmener la clé USB et de la garder chez lui pendant cinq mois!
Ce n'est qu'il y a quelques semaines, lorsque l'existence de la liste Lagarde fait la une des journaux et que le nouveau gouvernement se dit incapable de retrouver le CD original (M. Papakonstantinou déclarera qu'il l'a "hélas égarée") que M. Venizelos remet la clé USB au premier ministre actuel M. Samaras, quoique après tant d'intrigues il n'y a plus une seule personne en Grèce pour croire que le contenu initial demeure intact.
Le dernier chapitre de cette affaire incroyable est l'arrestation de Kostas Vaxevanis, journaliste d'enquête indépendant maintes fois récompensé, pour avoir osé publier une partie de la fameuse liste. Poursuivi sur ordre du procureur, M. Vaxevanis est jugé sur le champ et acquitté sous la pression du tollé international provoqué. Cependant, deux semaines plus tard, le procureur revient à la charge en faisant appel au jugement.
Le contenu de la liste publiée explique l'acharnement du pouvoir dominant. On y retrouve le gotha de la grande bourgeoisie grecque: hommes politiques, industriels, grands avocats, propriétaires de médias, banquiers, bijoutiers et, bien entendu, les armateurs qui ne semblent pas se contenter de l'évasion fiscale légale que leur concède l'Etat grec par le biais d'innombrables exonérations d'impôts.
L'Initiative de Solidarité envers la Grèce en Lutte en coopération avec plus de 30 collectifs belges avait organisé, juste avant les élections de juin une manifestation de solidarité envers le peuple grec, sur lequel les gouvernements européens et l'Union Européenne exerçaient un chantage sans précédent en lui demandant de voter pour des partis "pro-européens" et "responsables" qui appliqueraient à la lettre le programme d'austérité. M. Reynders nous avait répété ces mêmes mots lorsque nous l'avons rencontré en marge de la manifestation. Nous lui avions répondu que ces partis "responsables" (PASOK et Nouvelle Démocratie) sont les mêmes qui depuis des décennies ont pillé les finances publiques, instauré le clientélisme, encouragé et récompensé la fraude fiscale.
L'affaire de la liste Lagarde vient confirmer ce constat: les partis constituant le gouvernement actuel (dont la formation avait été saluée par l'ensemble de l'Union Européenne) sont plongés jusqu'au cou dans ce scandale.
Alors, pour revenir à la déclaration de Mme Lagarde: Oui, les Grecs doivent s'aider eux-mêmes en dévoilant ceux qui ne paient pas d'impôts et en renversant ceux qui le leur permettent.
En voici deux:
"Les Grecs sont tombés du hamac où ils étaient allongés depuis si longtemps, il est grand temps qu'ils se remettent debout" Maria Feckter, ministre des finances autrichienne, le 23/10/2012.
"Les Grecs doivent s'aider eux-mêmes en payant leurs impôts", Christine Lagarde, directrice du FMI, le 25/05/2012.
Alors que le premier stéréotype, celui selon lequel les Grecs sont des fainéants a depuis longtemps été démenti par les statistiques d'Eurostat, on trouve rarement des arguments contre le second, selon lequel systématiquement les Grecs ne payent pas leurs impôts. Car les dirigeants européens sont convaincus que, si l'Etat grec, au moment même où il manque cruellement de liquidités, ne fait absolument rien pour lutter contre l'évasion fiscale, celle-ci constitue un phénomène endémique bien ancré dans la mentalité de tous les Grecs.
Mais voilà qu'une liste remise au gouvernement grec il y a deux ans des mains de la même Mme Lagarde est venue dévoiler au grand jour le degré de corruption des partis au pouvoir et leur connivence avec l'élite économique du pays pour démontrer une fois de plus ce que les dirigeants européens feignent d'oublier: l'inaction face à l'évasion fiscale s'explique par l'identité de ceux qui la pratiquent.
La reconstitution de l'histoire qui suit se base exclusivement sur les déclarations des différents protagonistes devant la commission parlementaire compétente du Parlement grec.
En octobre 2010, M. Lagarde, alors ministre des finances de France envoie aux autorités grecques une liste d'environ 2000 noms de clients grecs de la banque HSBC en Suisse, subtilisée par un employé de la banque, dans le but d'aider le gouvernement Papandréou à débusquer d'éventuels fraudeurs (des listes similaires avaient été envoyées aux autorités d'autres pays comme l'Italie et l'Espagne qui ont pu ainsi récupérer plusieurs milliards d'euros.)
Le ministre des Finances de l'époque M. Papakonstantinou affirme avoir bien reçu cette liste sur un support CD qu'il s'empresse de ranger dans un tiroir après l'avoir copié sur une clé USB.
Un mois plus tard, en novembre 2010, M. Papakonstantinou, selon ses dires, remet au directeur du département de lutte contre le crime économique (SDOE en grec) M. Kapéléris, non pas la liste mais uniquement une vingtaine de noms afin qu'il mène une enquête.
Cependant, M. Kapéléris dément en déclarant que le ministre lui a confié une liste de dix noms sans lui expliquer de quoi il s'agit et en lui demandant de faire du profilage.
Le 25 janvier 2011, lors d'une réunion de travail au bureau du ministre, M. Kapéléris est pour la première fois mis au fait de l'existence de la liste Lagarde. On décide de créer une commission spéciale à un moment ultérieur, commission qui ne verra jamais le jour, puisque M. Kapéléris ne recevra jamais l'ordre d'enquêter.
A la même époque, M. Papakonstantinou se rend à Davos, en Suisse, accompagnant le premier ministre Georges Papandréou et la presse internationale rapporte des rencontres du ministre des finances avec des cadres supérieurs des banques UBS et HSBC. Celles-ci sont confirmées par M. Papakonstantinou qui refuse cependant d'en dévoiler le contenu. Le ministre admet également que le premier ministre était au courant de la liste Lagarde et lui avait demandé de poursuivre l'enquête, chose qu'il ne fera pas.
Entretemps, le SDOE change de directeur. Le nouveau venu, M. Diotis n'est pas mis au courant de l'existence de la liste. Ce n'est que lorsque M. Papakonstantinou quitte le ministère, en juin 2011, qu'il lui remet la clé USB sans aucune instruction sur la suite à donner.
Lorsque M. Venizelos, chef du parti socialiste (PASOK) soutenant le gouvernement tripartite de M. Papadémos (ancien vice-président de la BCE), prend les commandes du ministère des finances, M. Diotis lui remet la clé USB pour ne plus jamais la revoir ou entendre parler d'elle.
Douze mois durant, M. Venizelos ne bouge pas un seul orteil sur le dossier en prétextant que ces données n'étaient pas "exploitables" vu qu'elles avaient été obtenues de manière frauduleuse (argument ridicule lorsque l'on constate que d'autres gouvernements ont su les exploiter). Par ailleurs, lorsque M. Venizelos abandonne son poste en vue des élections législatives, il juge bon d'emmener la clé USB et de la garder chez lui pendant cinq mois!
Ce n'est qu'il y a quelques semaines, lorsque l'existence de la liste Lagarde fait la une des journaux et que le nouveau gouvernement se dit incapable de retrouver le CD original (M. Papakonstantinou déclarera qu'il l'a "hélas égarée") que M. Venizelos remet la clé USB au premier ministre actuel M. Samaras, quoique après tant d'intrigues il n'y a plus une seule personne en Grèce pour croire que le contenu initial demeure intact.
Le dernier chapitre de cette affaire incroyable est l'arrestation de Kostas Vaxevanis, journaliste d'enquête indépendant maintes fois récompensé, pour avoir osé publier une partie de la fameuse liste. Poursuivi sur ordre du procureur, M. Vaxevanis est jugé sur le champ et acquitté sous la pression du tollé international provoqué. Cependant, deux semaines plus tard, le procureur revient à la charge en faisant appel au jugement.
Le contenu de la liste publiée explique l'acharnement du pouvoir dominant. On y retrouve le gotha de la grande bourgeoisie grecque: hommes politiques, industriels, grands avocats, propriétaires de médias, banquiers, bijoutiers et, bien entendu, les armateurs qui ne semblent pas se contenter de l'évasion fiscale légale que leur concède l'Etat grec par le biais d'innombrables exonérations d'impôts.
L'Initiative de Solidarité envers la Grèce en Lutte en coopération avec plus de 30 collectifs belges avait organisé, juste avant les élections de juin une manifestation de solidarité envers le peuple grec, sur lequel les gouvernements européens et l'Union Européenne exerçaient un chantage sans précédent en lui demandant de voter pour des partis "pro-européens" et "responsables" qui appliqueraient à la lettre le programme d'austérité. M. Reynders nous avait répété ces mêmes mots lorsque nous l'avons rencontré en marge de la manifestation. Nous lui avions répondu que ces partis "responsables" (PASOK et Nouvelle Démocratie) sont les mêmes qui depuis des décennies ont pillé les finances publiques, instauré le clientélisme, encouragé et récompensé la fraude fiscale.
L'affaire de la liste Lagarde vient confirmer ce constat: les partis constituant le gouvernement actuel (dont la formation avait été saluée par l'ensemble de l'Union Européenne) sont plongés jusqu'au cou dans ce scandale.
Alors, pour revenir à la déclaration de Mme Lagarde: Oui, les Grecs doivent s'aider eux-mêmes en dévoilant ceux qui ne paient pas d'impôts et en renversant ceux qui le leur permettent.
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